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Les noms mésogéens du poisson

Albanais peshku [peʃku]

La non palatalisation du « k » montre un emprunt à une langue romane de Dalmatie, l'albano-roman (voisin du végliote de l'île de Krk et du ragusain de Dubrovnik). Les langues dalmates se sont toutes éteintes, depuis le Moyen-Âge pour l'albano-roman, à la fin du xixe siècle pour le végliote.


Arabe classique سَمَك [samak]

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Bulgare риба [riba]

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Espagnol pez [peθ]

Issu du roman commun *p'eske avec chute de la syllabe post-tonique et palatalisation de la gutturale poussée jusqu'à la sifflante interdentale.


Français poisson [pwas'õ]

L'évolution naturelle du roman commun *p'eske (palatalisation de la gutturale, chute de la syllabe post-tonique, diphtongaison du « e » accentué, d'abord en « ei », puis en « oi ») aboutissait régulièrement au français du Nord *pois. Mais la même forme était également produite par l'évolution du latin písum « pois », coïncidence susceptible d'entraîner des ambiguïtés, et c'est ainsi que le plus gros des deux « pois » a reçu le suffixe augmentatif « -on » (lat. pisciōnem) et est devenu le « poisson », sans qu'on puisse exclure dans le succès de ce terme une influence de l'adjectif « poisseux » (lat. pix, picis « poix »).


Géorgien თევზი [tevzi]

Langue caucasienne du groupe kartvélien, le géorgien est apparenté au mingrélien, au laze et au svane mais je ne dispose pas de références étymologiques sur ce groupe de langues.


Grec ancien ἰχθῦς [ikhth'ūs]

On reconstitue une forme eurindienne *dʰgʰuH- attestée par l'arménien dz-kan, dzoւ-k, le lithuanien žuvìs et le letton zuvs. Pour la correspondance phonétique, on comparera le grec χθών [khth'ōn] et le lithuanien žēmė, issus de *dʰgʰōm, *dʰgʰém- « terre ») ; l'ordre des consonnes initiales est assuré par le hittite tēkan « poisson », c'est en grec qu'il a subi une métathèse, agrémentée d'une prothèse vocalique facilitant sa prononciation.

Le poisson a été utilisé comme symbole aux débuts de la Chrétienté, son nom grec étant interprété comme acronyme de Ἰησοὺς Χριστὸς Θεοῦ Υἱὸς Σωτήρ « Jésus-Christ, de Dieu le fils sauveur » mais le mot n'a pas eu d'autre postérité hors de quelques néologismes scientifiques (ichtyologie, ichtyosaure, etc.).


Grec moderne ψάρι [ps'ari]

Sur une racine eurindienne *bhes- « frotter, émietter » (sanskrit ba-bhas-ti « il mâche ») le grec ancien avait formé le nom ψωμός [psōmós] « bouchée [de pain] ». Il s'agit bien de pain, la nourriture par excellence des humains, celle qui les distingue des animaux, et le sens « bouchée [de chair] humaine », ψωμὸς ἀνδρόμεος, de l'Odyssée (IX.374) n'est qu'une antiphrase sinistrement ironique dans l'épisode du Cyclope. C'est d'ailleurs un diminutif de ce mot, ψωμίον [psōmíon], qui est à l'origine du grec moderne ψωμί [psōmí] « pain ».

Sur cette même racine, le grec ancien avait aussi ὄψον [ópson] pour désigner ce qui se mange en accompagnement du pain : légumes, oignons, olives, parfois viande, souvent poisson. Et c'est ce dernier sens qui prédomine dans le diminutif ὀψάριον [opsárion] « petit en-cas de poisson », probablement un équivalent du pan bagnat niçois, petit pain rond garni d'anchois salés ou de thon à l'huile, de quelques crudités et d'huile d'olive. Sous l'influence de ce type d'habitudes culinaires, cet ὀψάριον en est venu très tôt à désigner le poisson lui-même en tant qu'aliment (déjà dans l'Évangile de Jean, c'est ainsi qu'on nomme les poissons de la pêche miraculeuse qui suit la multiplication des pains) et le mot a survécu dans le grec moderne ψάρι « poisson ».


Hébreu דָּג [dag]

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Italien pesce [p'eʃe]

Sur le roman commun *p'eske la palatalisation de la gutturale aboutit directement à la forme courante pesce. Au Sud, sous diverses influences, ces « e » fermés repasseront à « i » : napolitain pisce, sicilien pisci. Au Nord, on constate une thématisation secondaire dans le génois pescio et une palatalisation plus poussée dans le vénitien pése.


Kabyle, Tamazight aslem [aslem]

Pluriel iselman.


Latin piscis [p'iskis]

Ce nom est un thème en « -i- » dérivé de l'eurindien *pi-sk- « poisson » sur lequel le germanique a formé un thématique *fiskaz (< *pisk-o-), d'où le norrois fiskr, l'anglais fish et l'allemand Fisch. L'irlandais iasc et le gaélique d'Écosse iasg sont issus, eux, de la forme au degré « e » *peisk-o- (les mots brittoniques, gallois pysgodyn, breton pesk, sont des emprunts au latin).

Le roman commun *p'eske est basé sur l'accusatif piscem avec ouverture du « i » bref en « e » et chute de la nasale finale.


Maltais huta [h'uta]

Emprunt au tunisien. On trouve aussi le mot pixxi qui, lui, est un emprunt au sicilien pisci.


Occitan peis [pejs]

Comme pour les premières étapes du français, le roman commun *p'eske connaît un chute de la syllabe post-tonique et une diphtongaison de « e » en « ei » sous l'accent. Les dialectes ne diffèrent que par la palatalisation plus ou moins poussée de la gutturale. D'ouest en est : gascon peish, catalan peix, languedocien et provençal peis, nissart pei.


Roumain peşte [p'eʃte]

Le roman commun *p'eske ne subit pas de modifications du vocalisme mais la palatalisation du groupe « sk » suit un chemin complexe par les étapes suivantes : *sk > *stsy > *syts > *syt > *št.


Russe рыба [rɨba]

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Slovène, Croate riba [riba]

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Ukrainien риба [riba]

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Turc balık [balɨk]

Le mot est attesté depuis le viiie siècle et il est commun à tous les dialectes du turc : azéri, tatar balıq, kirghiz, kazakh балык, ouzbek balik, ouïghour بېلىق [béliq] (ces variantes ne témoignent que de l'influence des alphabets historiquement utilisés).